Un duplex sans complex

Critique de Duplex, de Didier Caron, vu le 6 mars 2024 au Théâtre de Paris
Avec Corinne Touzet, Pascal Legitimus, Francis Perrin et Anny Duperey, mis en scène par Didier Caron

J’ai l’impression d’avoir écrit le même article il n’y a pas longtemps. Cet article où je commence en disant que j’avais des gros doutes sur le spectacle que j’avais choisi – c’était pour La Joconde parle enfin. Pour Le Duplex, ce ne sont pas des doutes que j’avais. C’était une certitude absolue. Ce spectacle ne m’était pas destinée. Mais pourquoi y aller quand même me direz-vous ? Mais parce que je suis un mouton, parce que je sais que ce sont de bons comédien et je ne peux pas m’empêche de me dire : « et si… ? ». Après tout, sur un malentendu, ça peut marcher.

Le duplex réunit deux couples de voisins, ceux du 6e, incarnés par Pascale Légitimus et Corinne Touzet, et ceux du 5e, ce sont Francis Perrin et Anny Duperey. Les voisins du 6e aimeraient bien agrandir leur appartement pour en faire un duplex, et pour cela racheter l’appartement du dessous. Seulement voilà : il est plus que probable que les voisins n’aient aucunement l’intention de vendre. La seule solution qui leur reste, c’est de les pousser au divorce.

J’adore ce genre de soirée. Et pourtant je pense que ça se joue à rien. Peut-être que dans un autre état d’esprit, je me serais complètement fermée à ce spectacle. Parce que le texte est à peu près comme je m’attendais : pas fou. Il y a pire, il y a les textes qui n’ont même pas d’essence dramaturgique, ce qui n’est pas le cas de celui-ci. Mais on ne vole pas très haut non plus. C’est le genre de texte devant lequel, à la manière d’une IA qui a déjà avalé un bon nombre de textes dans le genre, j’ai deviné en cinq minutes le dénouement du spectacle et je vois toutes les vannes arriver à des kilomètres. C’est le genre de texte qui peut me donner envie de partir – ou de dormir.

Et pourtant, loin de me braquer, je commence à sourire. Je ne peux pas dire que je m’ennuie. Je crois d’abord à l’effet « tant qu’on est là ». Je me retrouve à rire autant de la vanne que de sa bêtise ou de son culot. Mais pour ça, il a bien fallu que, quelque part, je me fasse attraper par la pièce. Que j’oublie de la repousser. Et je comprends vite la magie de ce qui est en train de se jouer. Je m’aperçois en fait que je suis beaucoup trop investie dans ce spectacle par rapport à ce que mon cerveau essaie de me faire croire. Ce n’est pas seulement de la curiosité.

D’abord, il faut dire mon bonheur de retrouver sur scène Anny Duperey. Lorsqu’elle est sur le plateau, je n’ai d’yeux que pour elle. Quelle légèreté. Quelle spontanéité. Quelle fraîcheur. Quelle irrévérence. Quelle lumière. Quelle classe. Quelle liberté. Quelle énergie. Quel souffle. Chacune de ses répliques est un délice. Chacun de ses mots se savoure. Sa diction a quelque chose de l’ordre du phrasé musical. Elle irradie. Elle semble flotter au-dessus du plateau. Elle est merveilleuse.

Mais Anny Duperey aussi incroyable soit-elle ne peut me faire passer du rien au tout. Il faut bien le reconnaître : je ne décroche pas. Et je dirais même plus : j’accroche. Ce qui se joue sous mes yeux a quelque chose de fascinant. En fait, je crois que je n’ai jamais vu des acteurs aussi bons sur un texte pareil. Ils le subliment. Il n’y a pas d’autre mot. C’est du grand art. Et, disons le carrément, ce n’est pas seulement du grand art d’arriver à faire autant avec aussi peu. Ils ne sont pas seulemnet excellent par rapport à leur matériau de base. Ils sont excellents tout courts. Je crois que ça faisait longtemps que je n’avais pas été face à un quatuor d’acteurs aussi bon. Ni passé une aussi bonne soirée. Voilà, c’est dit.

Le Duplex – Théâtre de Paris
15 rue Blanche, 75009 Paris
A partir de 20 €
Réservez sur BAM Ticket !

Voyage au bout de l’inceste

Critique du Voyage dans l’Est, de Christine Angot, vu le 2 mars 2024 au Théâtre de Nanterre-Amandiers
Avec Carla Audebaud, Cécile Brune, Claude Duparfait, Pierre-François Garel, Charline Grand, Moanda Daddy Kamono, Julie Moreau, mis en scène par Stanislas Nordey

Je n’aime pas particulièrement Christine Angot – et ses apparitions médiatiques sont à peu près tout ce que je déteste – mais j’avais quand même tenté l’adaptation de son Dîner en ville par Richard Brunel il y a quelques années à la Colline, qui m’a laissé un grand souvenir. Je sais que ce Voyage dans l’Est sera différent sur bien des points, mais grand, il peut l’être, d’autant plus avec cette distribution qui me fait saliver d’avance.

Lorsqu’elle publie Le Voyage dans l’Est, Christine Angot a déjà écrit sur le sujet de l’inceste. Mais L’Inceste était un roman, là où Le Voyage dans l’Est est un récit autobiographique qui s’appuie sur son retour dans la ville où tout a commencé pour faire émerger les souvenirs qui ont pu être enfouis plus ou moins profondément.

Comment je vais écrire sur un tel spectacle. Je sais que la pensée me traverse pendant la pièce. J’ai du mal à écrire. Moi qui ai pour habitude de prendre des notes pour essayer de transcrire le plus fidèlement possible les impressions, me voilà sans mot. Je ne vais pas essayer d’écrire une critique. C’est un beau spectacle. C’est un bon spectacle. J’ai envie de dire : on s’en doutait un peu. Vus l’équipe artistique, le metteur en scène, la distribution, on n’était pas là pour coller des gommettes. Théâtralement c’est une réussite.

Mais ce n’est pas seulement de ça dont j’ai envie de parler. Analyser la mise en scène, le jeu des comédiens aurait quelque chose de vain. Et j’en serais à peu près incapable. Car les moments qui m’ont transportée m’ont un peu mis dans un état second. C’est ça, je crois, qui me reste. Qui m’a marquée. J’ai pris un petit coup théâtro-littéraire. Et je ne m’y attendais pas. Pas comme ça.

Ecouter Cécile Brune nous dire le roman de Christine Angot aurait déjà été quelque chose de grand. Mais elle ne se contente pas de dire. Je pourrais dire qu’elle incarne, qu’elle donne vie, ce serait un peu cliché mais il y a de ça. Mais ça va au-delà. J’aurais presque envie de dire qu’elle traduit. On dit qu’il y a des traductions qui sont peut-être mieux encore que la version originale. C’est rare que l’intermédiaire ajoute. C’est le cas ici.

Le medium joue aussi. C’est étonnant. Moi qui aurais eu tendance à préférer l’imagination induite par la lecture, j’ai l’impression que la puissance des mots se retrouve ici décuplée. D’abord parce que là où j’aurais pu détourner les yeux, arrêter de lire, me perdre dans mes pensées pour éviter une phrase, je n’ai aucun moyen de ne pas entendre. Pas d’échappatoire possible. Les mots sont dits, et ils pèsent partout sur le plateau.

Mais peut-être aussi parce qu’il n’est finalement pas vraiment question d’images et qu’en cela on ne brise pas l’imagination, on y ajoute simplement une intention. J’ai l’impression d’avoir mieux compris l’oeuvre que si je l’avais lue dans mon coin. Mieux compris certaines parties, en tout cas. C’est étrange. Tout ce qui concerne l’intériorité, ainsi extériorisé, m’a semblé limpide. Et passionnant. Ce qui est dit sur les mécanismes de défense du cerveau ou sur notre incapacité à comprendre vraiment ce dont elle parle me laisseront des traces. Intellectuelles et émotionnelles. Je sais que je n’ai pas compris, que je ne comprendrai jamais. Et que la démonstration qui me l’a prouvé avait quelque chose de brillant.

Le Voyage dans l’Est – Théâtre de Nanterre-Amandiers
7 Avenue Pablo Picasso, 92000 Nanterre

Monna Karina

Critique de La Joconde parle enfin, de Laurent Ruquier, vue le 22 février 2024 au Théâtre de l’Oeuvre
Avec Karina Marimon, mise en scène par Rodolphe Sand

Quand je découvre l’affiche du spectacle il y a quelques semaines, je ressens tout de suite cette espèce d’excitation intérieure du corps qui a compris avant le cerveau. Cette comédienne sur l’affiche, je la connais, je l’ai découverte dans Big Mother il y a un an de ça et elle m’avait complètement bluffée. Là se pose une question. Entre l’affiche, le résumé du spectacle, son auteur, tout semble indiquer que ce n’est pas un spectacle pour moi. Mais cette fille m’a tellement marquée que je choisis de ne pas écouter les signaux. J’ai trop envie de la revoir. Alors j’y vais.

En attendant le début du spectacle, je n’en mène pas large. Je me demande un peu ce que je fais ici, en snob légendaire que je suis. J’ai invité ma mère, qui n’a pas vu Big Mother et qui se demande peut-être encore plus que moi ce qu’elle fait ici. Le rideau s’ouvre. Karina Marimon dit deux mots. C’est bon, je sais parfaitement pourquoi je suis ici. Karina Marimon ne m’avait pas marquée parce qu’elle était particulièrement bien dirigée dans Big Mother. Elle m’avait marquée parce qu’elle est marquante.

Deux mots ont suffi. Pour captiver la salle. Pour conquérir le public. Pour savoir qu’on allait passer une bonne soirée. Elle a l’aura d’une stand-uppeuse, la classe d’une chanteuse lyrique et la maîtrise d’une grande comédienne. C’est une artiste totale qui ajoute à tous ses talents celui d’un rapport au public complètement dingue. Qui doit plus qu’à juste un sens du rythme inné ou à une punchline bien affutée. Qui va plutôt chercher du côté d’une grande humanité. Une artiste totale, on a dit.

Bon, et Laurent Ruquier dans tout ça ? On lui doit peut-être quelques excuses. Parce que son texte tient bien la route, et même peut-être un peu plus que ça. Sa Joconde est suffisamment bien documentée pour nous apprendre des choses, suffisamment mordante aussi pour ne pas nous ennuyer. Le texte est incisif, les phrases sont courtes, le rythme est rapide, le tout est porté par une mise en scène très efficace, parvenant même à créer la surprise. L’équilibre entre les parties historiques et les anecdotes insolites voire les punchlines un peu plus gratuites se fait plutôt bien. J’avoue un petit faible pour les parties plus libres, certaines parties historiques flirtant un peu trop à mon goût avec le didactisme, heureusement toujours rattrapé par la verve inimitable de Karina Marimon. Oui, je sais, je me répète, mais que voulez-vous : elle déchire tout.

Voilà. C’était un peu l’heure du mea culpa. J’aurais pu vous faire croire qu’il me coûte. Mais je crois que ce genre de soirées, où j’arrive pleine de doutes, et qui les emporte tous avec elle, et moi avec, sont celles que je préfère. Donc mea culpa, vraiment, mais surtout merci pour cette chouette soirée.

La Joconde parle enfin – Théâtre de l’Oeuvre
75 rue de Clichy, 75009 Paris
A partir de 22 €
Réservez sur BAM Ticket !

Sublimation ?

Critique de Ceux qui se sont évaporés, de Rébecca Déraspe, vu le 19 février au Théâtre de Belleville
Avec Anne Coutureau, Olivier Martial, Laurent d’Olce, Benjamin Penamaria, Chloé Ploton, Camille de Sablet, Elisabeth Ventura, mis en scène par Fabian Chappuis

C’est d’abord le nom d’Elisabeth Ventura qui m’a amenée ici. Découverte il y a presque quinze ans dans Les Femmes Savantes mises en scène par Arnaud Denis, je l’ai ratée il y a quelques années dans Les Filles aux mains jaunes – c’est toujours comme ça avec les succès, on se dit qu’on a le temps et on les rate – puis retrouvée, avec bonheur, dans L’invention de nos vies. Son nom me suffisait à retourner dans ce chouette théâtre de Belleville que je fréquente trop peu. Celui de Fabian Chappuis aurait pu finir de me convaincre tout à fait : je me souviens encore du grand bruit qu’avait fait sa mise en scène de A mon âge, je me cache encore pour fumer.

Ceux qui se sont évaporés ont fait un choix. Sans rien dire à personne, sans signe avant-coureur, un jour, ils ont tourné le dos à leur vie et ils ont disparu. Parce que ce qui se passait à l’intérieur n’avait rien à voir avec ce qu’ils pouvaient afficher. Et qu’ils ont laissé la situation s’enliser. Sans parler. Sans révéler ce qu’ils étaient vraiment. Comme si personne, autour d’eux, ne les connaissait. Alors, un jour, pour se reconnecter à eux-mêmes, ou juste parce qu’ils ne peuvent pas affronter leur quotidien plus longtemps, ils partent.

Il y a un rythme, tout de suite. Induit par cette manière d’être à sept au plateau en n’étant qu’une seule voix, la voix de la narration, qui soudain, sans prévenir, laisse la parole à la voix des personnages. Cette voix de la narration m’emporte avec elle. Elle a quelque chose d’original, de saccadé, de presque inattendu. C’est une langue particulière, une chouette langue, phrase courtes, presque nominales, une langue télégramme qui porte en elle le rythme de ce qu’elle décrit et les émotions qu’elle invoque. Comme si elle était directement liée à notre sujet, à ses interrogations, à ses doutes. Cette langue me plaît. Cette langue me parle. Cette langue m’accroche.

La tension monte progressivement, accompagnée par ce rythme particulier. La mise en scène stylise ce qui pourrait être au ras du réel. Le spectacle a quelque chose de captivant. Jusqu’à ce que. Jusqu’à ce que le spectacle atteigne son point culminant. Notre personnage disparaît. Et, quelque part, l’enjeu principal – en tout cas celui qui m’intéressait, moi, principalement – disparaît un peu aussi. Avec notre personnage disparaît aussi notre narration, pour laisser plus de place aux dialogues. Le rythme ralentit. Le sujet se déplace. On s’intéresse maintenant davantage aux répercussions de la disparition, à l’effarement, aux tentatives de reconstruction. De thriller, on passe presque à série documentaire. C’est toujours aussi bien fait, mais peut-être plus attendu. Plus réel. Comme si quelque chose cristallisait autour de cette disparition. De l’évaporation, nous voilà passé à la condensation. Et ça a quelque chose de peut-être un peu douloureux aussi, évoquant quelques souvenirs récents que j’aimerais oublier le temps du spectacle et qui s’invitent dans ma tête. J’aurais peut-être préféré rester hors du réel encore un petit moment.

J’accuse les coupes !

Critique de Pauvre Bitos, de Jean Anouilh, vue le 14 février 2024 au Théâtre Hebertot
Avec Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Etienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet et Sybille Montagne, mis en scène par Thierry Harcourt

J’ai pas envie de faire cet article. Car j’avais vraiment envie d’aimer ce spectacle. C’est injuste, que voulez-vous. C’est la grand injustice de la subjectivité. Il y a des spectacles dont je n’attends rien et qui ont donc un potentiel de surprise bien plus important que l’avait Pauvre Bitos. Les attentes, c’est à double tranchant : on est déjà un peu acquis donc on n’a pas besoin de grand chose pour être conquis, mais si ça ne prend pas rapidement, le risque de dégringolade est peut-être plus élevé qu’en moyenne. Vous le sentez venir, hein ? J’ai été déçue, ben oui, voilà.

J’étais ultra hypée par ce spectacle lorsqu’il a été annoncé initialement : il réunissait trois de mes artistes préférés, Arnaud Denis, Maxime d’Aboville, Adrien Melin. Malheureusement, Arnaud Denis a dû laisser la main pour la mise en scène pour des raisons de santé, et c’est Thierry Harcourt qui a repris la mise en scène. Le problème du spectacle se situe-t-il dans ce passage de relai ? Thierry Harcourt avait-il les mêmes ambitions, la même lecture, la même vision de la pièce que son metteur en scène originel ? Impossible de le savoir. Alors jugeons les faits.

Je prends ce ton un peu solennel car je trouvais que la situation de départ lui allait bien. Nos personnages se rendent à un dîner de tête lors duquel les convives sont invités à se grimer en personnages historiques, ici, des personnages importants de la Révolution. L’un d’entre eux, Bitos, n’est invité à ce dîner que par vengeance de l’hôte, Maxime. Nous sommes après la 2nde Guerre Mondiale, Bitos est un procureur qui a obtenu la tête de collaborateurs dans le cadre de l’épuration. Il est présenté comme un transfuge de classe aigri quand ceux qui l’invitent sont des aristocrates décatis et peu républicains. Bref, Bitos, déguisé en Robespierre, risque d’avoir quelque surprises au cours du dîner.

Ça manque de quelque chose. Voilà ce qui me trotte dans la tête pendant tout le spectacle. Ça manque de quelque chose. Mais de quoi ? De liant, entre les personnages et leurs têtes, le passage de l’un à l’autre se faisant de manière peut-être un peu artificiel. De tension, entre les personnages : l’hôte est déguisé en Saint-Just, disciple de Robespierre, ce qui devrait induire une certaine friction de fait, mais qui n’est absolument pas utilisée. D’intérêt, dans la mesure où les échos entre l’épuration et la Terreur nous parlent moins que dans les années 50. D’enjeu. Ce spectacle manque d’enjeu. Et j’ai comme une idée des responsables. Les coupes. Trop de coupes, tuent les coupes. En plus, on reste dans le sujet, non ?

C’est délicat, car je ne connais pas le texte initial. Mais j’ai quand même une odeur qui me vient au nez. Parce que certaines choses semblent tomber un peu comme un cheveu sur la coupe. Parce qu’il y a des situations, des répliques, des élans de personnages qu’on ne comprend pas. Parce que le parallèle entre les personnages et leurs têtes peine à exister. Comme si la situation n’avait pas tout l’espace requis pour s’installer. Comme si les personnages ne pouvaient pas se déployer. La promesse n’est pas tenue. On attendait un jeu de massacre. Et finalement on joue au puzzle avec les coupes.

Pauvre Bitos – Théâtre Hébertot
78 bis bd des Batignolles, 75017 Paris
A partir de 17,20 €
Réservez sur BAM Ticket !

C’est pas facile de se planter quand on a du talent

Critique de C’est pas facile d’être heureux quand on va mal, de Rudy Milstein, vue le 10 février 2024 au Théâtre Lepic
Avec Rudy Milstein, Nicolas Lumbreras, Erwan Téréné, Zoé Bruneau et Baya Rehaz, mis en scène par Rudy Milstein et Nicolas Lumbreras

On me demande souvent comment je choisis les spectacles que je vais voir. Si je dois être tout à fait honnête, c’est d’abord l’affiche qui a attiré mon attention. Et oui, je suis une cible facile, les couleurs vives, ça marche sur moi. Les noms de Rudy Milstein et Nicolas Lumbreras aussi. La perspective d’une soirée au Théâtre Lepic a fini de me convaincre tout à fait. C’est parti !

Le premier truc qui me surprend, en arrivant au théâtre Lepic, c’est le monde. C’est un théâtre que je connais bien, et je crois que je n’ai jamais vu une queue aussi importante à quinze minutes du début du spectacle. Comme souvent, il y a beaucoup de jeunes dans la salle. C’est drôle, en fait, car j’ai l’impression que les personnages qu’on va découvrir petit à petit dans la pièce ressemblent un peu au public venu les applaudir. Scènes drôle et gênantes de la vie de jeunes actifs parisiens, aurait-on pu titrer.

Pour qui est à l’aise avec l’idée de tirer sur tout ce qui bouge – le cancer, les juifs, le couple, les homosexuels, les moches, le viol – c’est un spectacle feel good. Oui, vue la tournure de la phrase, vous y êtes : il ne faut pas avoir peur de l’humour noir. C’est corrosif. Mais ce n’est jamais gratuit. En fait, c’est très bien fichu comme pièce : sur les punchlines, sur le choix des thèmes, sur le dynamisme des scènes, ça emprunte au format du sketch – toujours en duo, ce qui permet de se renvoyer de belles balles au rebond – mais ça reste construit comme un spectacle classique, avec un fil directeur et une histoire.

Cette construction particulière permet cette dualité très efficace pour le spectateur. Il y a un vrai plaisir à se faire balader, à suivre ces fils qui se mêlent, s’entremêlent et se démêlent d’une scène à l’autre, un plaisir lié à la narration, sur lequel viennent se superposer une atmosphère cringe et des punchlines aiguisées à souhait qui transforment l’essai à chaque fois. On pourrait s’attendre à quelque chose de très agité, voire d’explosif, mais pas du tout. Le rythme emprunte plus à la partie narrative qu’au sketch, ce qui permet aussi d’accentuer l’éclat de chaque bon mot.

Et l’ensemble du spectacle suit cette efficacité. La scénographie est minimaliste et pourtant très inventive. L’effet de surprise est lui aussi complètement bienvenue et parvient à mettre des étoiles dans les yeux avec peu de choses. L’enchaînement des scènes est toujours malin, pétillant ; lui aussi semble teinté de cette dose d’humour qui a comme infusé dans l’ensemble du spectacle. Résultat ? Sur scène, tout va mal. Mais dans le public, j’ai comme l’impression que tout va pour le mieux. C’est moche de rire du malheur des gens.

C’est pas facile d’être heureux quand on va mal – Théâtre Lepic
1 avenue Jugnot, 75018 Paris
A partir de 26,50 €
Réservez sur BAM Ticket !

Ladislasse

Critique de L’amour chez les autres, de Alan Ayckbourn, vu le 13 février 2024 au Théâtre Edouard VII
Avec R.Jonathan Lambert, Virginie Hocq, Arié Elmaleh, Julie Delarme, Sophie Bouilloux et Andy Cocq, mis en scène par Ladislas Chollat

L’affiche était belle. Chose rare pour un spectacle, la bande-annonce aussi. La distribution était alléchante, les têtes d’affiches un peu différentes de celles qu’on croise d’habitude à l’Edouard VII, comme si ce dernier tentait d’attirer un nouveau public. Et puis six artistes au plateau, on ne se moque pas de nous. Bref, j’ai plongé. Comme pas mal de monde a priori, car la salle était bien remplie pour un mardi soir – et tant mieux ! Tant mieux pour ceux, en tout cas, qui ont davantage rigolé que moi.

L’amour chez les autres met en scène trois couples, liés entre eux par les trois hommes qui travaillent dans la même entreprise : Frank Foster est le boss de Bob Philipps et William Chestnut. En surface, tout va bien. Mais officieusement, c’est un peu plus compliqué que ça. Il se trouve en effet que Bob Philipps a passé la nuit avec la femme de Frank Foster, Fiona Foster. Et que, à deux doigts de se faire prendre chacun de leur côté, ils ont pris le même couple pour alibi : Bob a prétendu avoir passé la soirée avec William Chestnut, et Fiona avec sa femme. Cerise sur le gâteau, le couple Chestnut va se retrouver invité à dîner chez les Foster, puis chez les Philipps. Voilà qui promet…

Je pensais que ce serait ma came. Les histoires de couple, les petites mesquineries, les tromperies, les comiques de situation, c’est vu et revu mais sur moi ça fonctionne toujours. Je suis bonne cliente. Devant l’affiche, devant le résumé, devant la bande-annonce, j’avais l’impression de me retrouver devant ces comédies françaises style Le Jeu que je consomme facilement au cinéma. J’avais les mandibules échauffées, prêtes à se décrocher. Y’avait plus qu’à envoyer !

En fait, c’était pas tout à fait ça. On ne jouait pas vraiment dans la cour prévue. L’Amour chez les autres est une comédie anglaise. Ce qui ajoute deux poids dans la balance. D’abord, c’est de l’humour anglais. Pas vraiment absurde mais disons décalé, un peu loufoque. Ensuite, c’est traduit. Loin de moi l’idée de juger l’adaptation française signée par Marie-Julie Baup, simplement, pour des situations pareilles, on sent le léger décalage induit pas le poids culturel qui vient avec la comédie. Bref, je sens déjà mes mandibules qui commencent à se contracter.

Bon, me voilà donc loin de ma comédie réaliste à la française, mais on va pas se braquer pour autant. Après tout, le but du plateau reste de nous faire rire, je suis là pour ça, on va peut-être trouver un terrain d’entente. Et on l’a trouvé. Pendant cinq minutes, lors de la scène tant attendue, à peu près au milieu de la pièce, quelque chose prend. Le rythme, le grain de folie, la montée en puissance, tout y est. Mais cinq minutes, c’est peut-être un peu court sur une comédie qui dure 1h30.

Le reste du temps, malheureusement, je reste complètement sur ma faim. Difficile de mettre en cause les comédiens, qui défendent tous leur personnage avec ardeur, ni le texte, qui donne à voir un vrai potentiel comique. Non, pour moi, le problème vient de deux choses. D’abord, il y a comme une promesse non tenue : la bande-annonce et même le sujet de la pièce en lui-même semblaient converger vers une confrontation des trois couples. Or, cette confrontation n’arrive jamais. Et les dîners en eux-mêmes prennent finalement peu de place dans l’ensemble de la pièce, qui manque cruellement de tension dramatique. D’où probablement une partie de mon ennui.

Mais il y a aussi un problème de mise en scène. Moi qui ai toujours beaucoup aimé le travail de Ladislas Chollat, me voilà un peu décontenancée. Sa proposition manque cruellement de rythme : le spectacle semble monté au ralenti. Ce genre de comique fonctionne mieux en accéléré – le genre match de ping pong professionnel où on n’a même pas le temps de voir la balle tellement elle va vite. Et là, on se retrouve sur un match entre potes un dimanche post barbecue. L’histoire met plus de temps à avancer que le spectateur à comprendre ce qui va arriver. Et lui laisse tout le temps d’observer les défauts de la pièce : ses dialogues légèrement poussifs, ses aspects vieillots, ses grosses ficelles.

L’amour chez les autres – Théâtre Edouard VII
10 place Édouard VII, 75009 Paris
A partir de 30€
Réservez sur BAM Ticket !

Tramway désir : descendre à Bouffes-parisiens

Critique d’Un Tramway nommé désir, de Tennessee Williams, vu le 8 février 2024 au Théâtre des Bouffes Parisiens
Avec  Cristiana Reali, Alysson Paradis, Nicolas Avinée, Lionel Abelanski, Marie-Pierre Nouveau, Djibril Pavadé et Simon Zampieri en alternance avec Tanguy Malaterre, mis en scène par Pauline Susini

J’avais très envie de voir ce Tramway mais je savais que d’une manière ou d’une autre je serais embêtée par la critique. Car je n’aime pas Tennessee Williams et le Tramway est, des pièces que je connais de lui, peut-être celle que j’aime le moins. Je savais donc que je me mettais moi-même en difficulté pour le papier à écrire. Mais je ne m’attendais pas à ce type de difficulté-là. Je dois donc écrire quelque chose sur une pièce que je n’aime pas et devant laquelle je me suis retrouvée debout à la fin. Double joie, double peine. C’est tellement dur de mettre des mots sur un travail qui nous semble parfait. Ou, du moins, bien plus intelligent que nous.

Un jour, Blanche débarque chez sa soeur, Stella. Elle a l’air folle, ou en tout cas complètement perdue. Elle débarque dans un monde qui n’est pas le sien, dans un quartier pauvre de la Nouvelle-Orléans. Elle avait ses habitudes dans de plus beaux quartiers. En tout cas, c’est ce qu’elle dit. C’est ce qu’elle donne à voir. Car si, physiquement, elle a changé d’endroit, dans sa tête, elle est clairement ailleurs. Pour mieux accepter ce qui l’entoure, ou pour s’en échapper constamment ?

Immédiatement, il se passe quelque chose. Immédiatement, on sent qu’on joue dans la cour des grands. On a pénétré autre part. Est-ce une histoire d’atmosphère ? Est-ce que ce sont ces grands décors élégants, inhabituels dans le théâtre privé ? Est-ce que c’est cette musique qui nous accompagnera pendant tout le spectacle ? Est-ce que c’est l’entrée en scène de Cristiana Reali, qui tout de suite impose quelque chose comme malgré elle ? C’est sûrement un peu de tout ça à la fois. C’est la cohérence, l’équilibre, le point focal. On est là où on devait être, comme en résonance avec l’oeuvre de Williams.

La mise en scène de Pauline Susini est impressionnante. J’avais souhaité découvrir deux aspects de son travail en me rendant d’abord aux Consolantes, le samedi précédent. Voir ce qu’elle pouvait proposer, dans un lieu complètement différent, sur un sujet proche du théâtre documentaire. Je comprends tout de suite que son théâtre me parle. C’est une mise en scène totale, qui met tous les sens en éveil. Une mise en scène qui parvient à combiner l’image et jeu et qui, sans jamais oublier le beau, semble toujours être dans l’action. Une mise en scène qui impose son propre rythme en donnant toujours l’impression d’avancer.

On a presque l’impression d’en être, comme si notre siège de spectateur s’ajoutait aux pièces de l’appartement. La scénographie, par ailleurs d’une grande élégance, fait preuve d’une étonnante ambivalence : tantôt lumineuse, ouverte, accueillante, elle se transforme rapidement en un lieu étouffant dans lequel le sentiment d’enfermement est palpable, habillé non seulement par des ambiances lumineuses imposantes, mais également par une musicalité très présente. C’est peut-être ce qui m’a le plus marquée dans ce spectacle. L’importance de la musique. Et comme, selon les passages, elle peut donner l’impression soudaine de se retrouver dans la tête de Blanche. Et de s’en extraire, aussi rapidement qu’on y est entré.

Cette multitude de points de vue ne serait pas possible sans une direction d’acteurs au cordeau. Pour monter Le Tramway, il faut une Blanche. Pauline Susini l’a trouvée en Cristiana Reali. Sa composition est étonnante, inhabituelle. On connaît Blanche inquiétante, déséquilibrée. Cristiana Reali en fait autre chose. Lui donne d’autres teintes. Tantôt enfant capricieuse, ado qui prépare un bal, chat craintif, femme fatale, elle respire l’étrangeté. Et l’étrangère. Au milieu de cet appartement, au milieu de ces individus, elle détonne. Elle ressort. Elle est autre. Presque comme si le contact de ce qui l’entoure pouvait la contaminer d’une quelconque manière. Catapultée dans un monde qui n’est pas le sien. Autour d’elle, chacun a su trouver sa note spécifique, tous jouant une partition cohérente au sein d’une même tonalité. Elle est la dissonance dans la gamme. Le changement de mode. L’altération inattendue.

Une poupée de cristal qui danse avec un ours. C’est l’image qui me vient lorsque les personnages de Blanche et de Stanley se rencontrent. Lorsque Cristiana Reali joue avec Nicolas Avinée. J’avais entendu quelques critiques sur le choix de distribuer Avinée en Stanley. Avinée n’est pas Marlon Brando, et Marlon Brando a tellement marqué le rôle que la comparaison s’est invitée à la fête. Mais je n’ai pas vu le film et j’adore Avinée. J’ai fait confiance. J’ai eu raison. Il n’a pas le physique massif qu’on imagine pour le rôle ? Qu’importe. Il compense par une démarche bestiale, agressive, plus mascu que mascu. Quelque chose d’animal émane de lui. Une certaine puissance aussi. L’air autour de lui semble soudain plus dense, presque chargé électriquement. La composition est bluffante. Il en impose. Et pourtant, infime, au milieu de cette violence, il laisse la possibilité d’une faille. Un ours avec une faille. Il n’y a vraiment qu’au théâtre qu’on peut voir ça.

Un Tramway nommé désir – Théâtre des Bouffes Parisiens
4 rue Monsigny, 75002 Paris
A partir de 15€
Réservez sur BAM Ticket !

Ne le laissez pas passer !

Critique de Passeport, d’Alexis Michalik, vu le 7 février 2024 au Théâtre de la Renaissance
Avec Christopher Bayemi, Patrick Blandin, Jean-Louis Garçon, Kevin Razy, Fayçal Safi, Manda Touré, Ysmahane Yaqini

Je me souviens encore de ma rencontre avec l’oeuvre d’Alexis Michalik. C’était il y a dix ans, lors du OFF d’Avignon. On parlait déjà de lui comme du petit prodige du théâtre français et je me méfiais de l’effet de mode. J’ai été complètement soufflée. J’ai toujours refusé de revoir Le Porteur d’histoire pour ne pas entacher le souvenir de cette soirée parfaite. Mais j’ai vu tous les autres Michalik depuis – sauf Une histoire d’amour, clouée au lit par une méchante grippe, puis déchauffée par les retours qu’on m’avait fait sur la soirée. Et, comme pour beaucoup dans le microcosme théâtral, un nouveau Michalik, pour moi, c’est quand même un petit événement. Et j’avais hâte.

La jungle de Calais. Voilà où nous emmène Alexis Michalik cette fois-ci. Dans une fiction qui emprunte à la réalité. On va suivre Issa, un jeune Érythréen qui se réveille un jour dans la jungle sans aucun souvenir de son passé. Il n’a sur lui que son passeport. Il se débrouille en français. Et le voilà parti, sans plus d’armes que ça, pour obtenir son titre de séjour. Et tenter, au passage, d’en apprendre davantage sur ce qui lui est arrivé, ce soir-là…

J’avais hâte, mais je n’étais largement pas acquise. Au contraire. J’avais presque l’impression d’avoir vécu moi-même la déception d’Une histoire d’amour et je trouvais le sujet de l’immigration un peu touchy. Bref, Alexis Michalik me semblait être sur un terrain glissant. Et le début du spectacle m’a d’abord confortée dans mon idée : la première chose que je me suis dite devant le spectacle, c’est que c’était bien lent pour du Michalik. J’avais encore en tête le début de Big Mother (de Mélody Mourey, certes, mais dont l’inspiration michalikienne est évidente), complètement saisissant, haletant, assourdissant, et je crois que c’est à ça que je m’attendais. Mais pas du tout.

Ce début prend davantage son temps que ce à quoi Michalik nous a habitués, et pour cause : le début doit être lent en accord avec notre point de départ, cette mémoire oubliée. Sans oublier qu’on traite ici d’un sujet peut-être plus difficile qu’à l’ordinaire, et mettre en place les bases de cette histoire nécessite un traitement légèrement différent de d’habitude – d’autant que des informations issues du réel viennent se mêler à la fiction. Il faut parvenir à captiver le spectateur tout en lui glissant des éléments purement factuels qui peuvent tendre vers le didactique. C’est dans pareille entrée en matière qu’on se rend compte que le théâtre de Michalik ne supporte aucune erreur. C’est la mise en scène, le rythme, l’énergie qui font tout ; ce qu’il raconte est fondamentalement banal et emprunte parfois aux lieux communs. Donc, si la magie Michalikienne ne prend pas, on se retrouve avec une histoire aux airs de déjà-vu, aux gros fils qui dépassent et qu’on peut facilement tirer pour anticiper la suite. Il faut que l’engrenage prenne. Et l’engrenage prend.

L’engrenage prend, le récit s’emballe, et on est emporté. Michalik se transforme à nouveau en magicien et fait un magnifique tour de passe-passe pour retomber sur ses pieds sans qu’on n’ait rien vu venir. J’ai vu passer des critiques disant que c’était un peu bisounours. C’est vrai. Mais qu’est-ce qu’on s’en fout. On n’attend pas de Michalik une dissertation sur l’état de l’immigration en France. On est là pour qu’il nous raconte une histoire – et en plus, vous savez quoi, on peut même admettre qu’on aime bien quand parfois ça finit bien. Les pièces de Michalik font du bien. C’est un conteur. Un passeur. Un porteur d’histoire. Et un directeur d’acteurs hors pair, au passage. On se demande parfois où vont ces fils qu’il tisse tout autour de son tissu principal. Mais c’est oublier qui on a en face de nous. C’est le Maître du jeu. On peut avoir confiance. Il tisse à merveille. Il a l’art de nous mener en bateau. Et pour moi, il faut bien le reconnaître, ça reste un bonheur de monter à nouveau dans une barque avec lui.

Passeport – Théâtre de la Renaissance
20 boulevard Saint-Martin, 75010 Paris
A partir de 42€
Réservez sur BAM Ticket !

© Alejandro Guerrero

Toutes les plumes de Colette

Critique de Music-Hall Colette, de Cléo Sénia et Alexandre Zambeaux, adapté par Léna Bréban, vu le 2 février 2024 au Théâtre Tristan Bernard
Avec Cléo Sénia, mise en scène par Léna Bréban

Je ne sais pas combien de fois j’ai écrit ça ces derniers temps mais encore une sélection due en partie au harcèlement du haut de l’arbre généalogique. Colette est au programme de prépa et j’entends chanter ses louanges depuis quelques mois. Et puis comme j’ai aussi un peu une personnalité, je dois dire que Léna Breban à la mise en scène et Jean-Marc Hoolbecq à la chorégraphie, ce sont pour moi des valeurs sûres (et que j’aurais donc probablement pointé mon nez même sans le contexte très Colettien !).

La première chose qui me vient, c’est que je ne sais pas si j’ai déjà vu un seul en scène qui soit autant un spectacle. Ne me hurlez pas dessus, les seuls en scène sont bien des spectacles et loin de moi l’idée d’en faire un sous-genre. J’ai toujours aimé les seuls en scène. Mais chaque forme a ses codes, et, entre nous, on sait bien que ces derniers temps, quand on dit seul en scène, on a plutôt l’image du dépouillement scénique total venant contraster avec le côté très démonstratif de ce morceau de bravoure que constitue l’interprétation de vingt personnages par un seul comédien (comment ça je suis blasée ?). Ce Music-Hall Colette n’a rien de tout ça. Rien que dans sa forme, il est libre, il est différent, et ça mérite déjà des bravos.

C’est peut-être un détail pour vous, et pourtant, je pense que ça fait partie des éléments qui contribuent à insuffler un air de liberté et d’anti-conformisme à ce spectacle. Car c’est dans l’air, indéniablement, c’est l’âme et la singularité de Colette qui progressivement envahissent la salle, ça ne reste pas juste sur le plateau, ce n’est pas juste l’effet de quelques effeuillages – aussi réussis soient-il, j’en conviens. C’est au-delà de ça. Ça déborde de Colette, dans la forme, dans le fond, dans le rapport au spectateur – ai-je déjà vu un jeu avec le public aussi pertinent que ce soir-là ?

J’ai dit que je n’étais pas habituée à voir des seuls en scène avec pareille attention portée sur la mise en scène, je n’ai pas été au bout de ma pensée. Je ne savais pas que ce matériau permettait de proposer quelque chose d’aussi brillant. D’aussi étonnant. D’aussi intelligent. Le travail de Léna Bréban est inventif mais jamais démonstratif, généreux sans être encombré, ultra dynamique tout en restant élégant. Mais il est surtout d’un équilibre parfait : l’utilisation du plateau, l’alternance entre les numéros dansés et racontés, les différents aspects de la personnalité de Colette, tout s’articule à la perfection pour entraîner le spectateur dans cette danse effrénée.

Et pendant que Léna Bréban signe une petite perfection à la mise en scène, Cléo Sénia, elle, en fait tout autant sur le plateau. Jeu, chant, danse, effeuillage, rien ne lui résiste. Sa Colette est un roc et l’enthousiasme débordant qu’elle affiche est un nid à faire front dans la difficulté. Les barrières qui se posent sur son chemin, elle les éclate, presque comme si elle ne les voyait pas. Rien ne semble lui résister, donnant un effet de toute puissance. C’est une personnalité unique, et caractérielle. Alors oui, le spectacle est principalement axé sur le rapport de Colette aux hommes, peut-être plus qu’à la littérature, mais c’est fait avec une envie communicative qui nous donne envie de nous (re)plonger dans l’oeuvre de l’autrice. Pari gagné.

Music-Hall Colette – Théâtre Tristan Bernard
64 rue du Rocher, 75008 Paris
A partir de 23€
Réservez sur BAM Ticket !

© Julien Piffaut